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L’arrêté couvre-feu des mineurs à Triel en débat au Tribunal administratif de Versailles

Légende : le débat a été riche et haletant au Tribunal administratif de Versailles le 7 août 2025.

Le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles devra se pencher sur la légalité ou non de l’arrêté 2025-329 (et ses modifications) relatif à l’instauration du couvre-feu pour les mineurs du 6 juin au 1er novembre 2025. La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et la municipalité se sont affrontées en séance publique le 7 août 2025. Voici l’essentiel des arguments avancés par les uns et contrés par les autres.

Selon le juge des référés, Darieusz Kacsynski, il est rare d’avoir un débat de ce niveau-là à l’audience du Tribunal administratif de Versailles. Le conseil de la LDH (demandeur) a mis en avant les raisons pour lesquelles les arrêtés successifs de M. Cédric Aoun, maire de Triel-sur-Seine (défendeur), seraient illégaux. En revanche, le conseil de M. Aoun a contre-attaqué en expliquant que le maire aurait la compétence pour le faire et aurait complété l’arsenal juridique existant pour régler les problèmes de nuisances et d’incivilités.

Absence ou non de nécessité pour ce couvre-feu ?

Sans tomber dans le piège du formalisme juridique, le débat contradictoire a été riche et intense autour de trois notions : la nécessité, la proportionnalité et le cas d’école qui représenterait Triel-sur-Seine dans la jurisprudence si cet arrêté était validé par le juge.

D’abord, l’avocate de LDH a attaqué sur le forme : “il s’agit de trois arrêtés, qui ont été successivement modifiés… “ ce qui sème la confusion et ne semble pas avoir de cible précise: celui du 6 juin 2025, celui du 4 juillet (qui modifia celui du 6 juin) et celui du 6 août (qui modifia celui du 4 juillet). Ces arrêtés limitent la libre-circulation des personnes mineures (de moins de 18 ans, puis de moins de 17 ans…) entre 23 heures et 5 heures du matin. Pour la LDH, ces arrêtés sont de nature à restreindre un des droits fondamentaux de la République : la liberté de circulation. Le conseil de la commune de Triel a rétorqué que M. Aoun “n’interdit pas la sortie de mineurs; (plutôt) il l’organise et la canalise”.  En outre, la dérogation de la mesure permet, selon le conseil du maire, de la souplesse : déplacement d’un km autour du domicile, possibilité d’aller aux événements organisés par la commune, convocations administratives ou pénales, etc.  Pour l’avocat de la mairie, cet arrêté est proportionné et a été “affiné” pour coller à la réalité du terrain : il vise les mineurs de, désormais, moins de 17 ans car le maire a “évalué que c’est à partir de cet âge” que les jeunes pourraient être tentés de dévier vers la délinquance juvénile. Ainsi, la nécessité s’imposerait au fur et à mesure de l’observation du terrain.

Quid de la délinquance juvénile à Triel ?

Quels sont les chiffres de la délinquance juvénile ? Aucune statistique précise n’a été avancée par le conseil de la commune. L’avocate de la LDH a mentionné que, au niveau national et en prenant tous les délits/crimes et tous les délinquants quel que soit l’âge, Triel-sur-Seine se classe 2620e avec un taux de 42 faits délictueux sur mille.(1) Une petite ville avec un taux qui ne permet pas d’affirmer que la commune est à feu et à sang !  A moins, comme l’a fait le conseil de la commune de Triel, d’extrapoler en expliquant que la récente montée de la délinquance, à Triel, en générale serait le fait des mineurs. Même le juge des référés a émis des doutes : “Vous êtes incapables de me dire si les chiffres de la délinquance des mineurs” ont augmenté ou non ? En guise de réponse, le maire a expliqué “que six mineurs ont été pris en train de dégrader la piscine gonflable…” et que l’on a constaté “des outrages aux policiers municipaux” le 1er janvier 2025. 

Au vu de l’absence de chiffres précis ou de statistiques valables sur la délinquance des jeunes, l’avocate de la LDH affirme que “l’absence de nécessité” devrait conduire le juge à suspendre cette mesure contraignante des libertés fondamentales car la commune de Triel n’est pas un lieu de rixes ou d’émeutes urbaines comme cela a été observé à Nîmes, Béziers ou à Limoges. Dans ces villes, les risques étaient tels que les tribunaux administratifs ont permis la restriction d’une de libertés fondamentales pour les jeunes. Est-ce que la violence s’est abattue à Triel depuis douze mois ? Voilà une question cruciale pour répondre à la nécessité de cette mesure, même le juge a posée. Selon les pièces fournies à la cour, ces arrêts sont contestables car il n’y a aucun risque de violence urbaine ou des rixes constatés. Autrement dit, selon la LDH, l’absence de nécessité est flagrante. Semblant interroger la partie adverse,“on n’est pas à Nîmes, à Béziers ou à Limoges” a martelé l’avocate de la LDH.


Le maire n’est pas compétent en matière de police administrative

Quant à la proportionnalité de la mesure, les trois arrêtés contestés par la LDH se caractériseraient par une volonté attentatoire aux libertés fondamentales. L’avocate de la LDH a fait allusion à la période COVID, qui a institué une restriction, par l’Etat régalien, de plusieurs mois entre 2020 et 2021; mais, selon son argumentaire, c’était justifié par une pandémie, constatée sur une base scientifique et légale. En 2025 à Triel, l’attestation des parents pour permettre aux jeunes mineurs de circuler serait un “artifice” pour faire passer l’idée que le maire est compétent en matière de police administrative. Or, ce n’est pas le cas, M. le maire de Triel n’a pas de compétences en la matière.
L’avocate de la LDH a souligné que les mineurs ont également besoin de prendre de l’air dans l’espace public. Où trouver des lieux de socialisation et de lien humain ? A la place Prévost, aux bords de Seine ! Justement c’est là que le maire voudrait leur interdire de se retrouver.  Cette mesure de couvre-feu est sans précédent et “risque d’introduire la généralisation du couvre-feu pour les mineurs; ce qui ne serait pas rassurant” ni pour Triel ni pour le pays. Risque-t-on de voir une propiska(2) à la sauce trielloise comme modèle pour tout le pays ?

Trouver des solutions sur le terrain,… au détriment des libertés fondamentales ?

Pour contrer les arguments de la LDH, selon l’avocat du maire de Triel, la mesure serait d’ordre préventif afin de sauvegarder l’ordre public. D’autre part, la montée de la délinquance serait palpable et les gens demanderaient de la sécurité… et le maire y répond par un arrêté qui a été modulé et reste modulable. Par exemple, dans l’arrêté modifié, le maire de Triel a limité le périmètre (il a enlevé les rues adjacentes des rues et lieux cités) et a borné la portée de ce couvre-feu dans le temps car début novembre l’arrêté deviendra caduque. Tellement modulable, que l’attestation de déplacement dérogatoire pour les mineurs comporte une erreur : en lieu et place de 23 heures comme heure du début de la validité, c’est 22 heures qui est écrit comme heure de validité (sic). Interrogé par le juge, l’avocat du maire a farfouillé dans ses notes et a expliqué qu’il s’agissait d’une “coquille”; plutôt “une erreur de plume” a rectifié le juge.  

L’arrêté du couvre-feu pour les mineurs (et ses modifications successives) illustrerait la nécessité des municipalités d’agir, au risque d’être dans l’illégalité constitutionnelle : “Je suis là pour trouver des solutions avec les moyens du bord” s’est justifié le maire Cédric Aoun. Il a relaté sa “confrontation avec des jeunes” ayant des mortiers pendant les jours d’émeutes urbaines du 29 juin 2023. Le juge s’est interrogé : Quid du bilan depuis l’instauration de la mesure en juillet 2025 ? “Excellent” a répondu le maire en mettant en avant l’instauration des liens au sein de la famille; Le juge a insisté : “Y-a-t-il eu ou non plus de délinquance juvénile ?” Le maire a tenté de répondre par une analogie : “C’est le syndrome de la cage d’escalier où les jeunes font du bruit et s’approprient l’espace” pour créer des nuisances. Oui, mais, “l’arrêté en question s’applique dans l’espace public” a corrigé le juge.

Pour l’avocate de la LDH, la situation décrite met en lumière une question sociale. Mais, sur le plan juridique, il est troublant de voir se disséminer ces arrêtés municipaux fourre-tout qui ne respecteraient pas les droits fondamentaux du pays. Le juge des référés a conclu en s’interrogeant à haute-voix : “Renouveler le dialogue au sein de la famille (est louable), mais à quel prix ?” Voilà la vraie question qui nous concerne tous, y compris les jeunes mineurs de Triel et de Navarre. Verdict :  le 11 août 2025.

Notes

  1. Statistiques sur les 12 derniers mois fournies par le Ministère de l’Intérieur et la Police Municipale de Triel-sur-Seine.
  2. La propiska (en russe : прописка) était un « permis obligatoire de résidence »[1] utilisé depuis l’époque des tsars jusqu’à la chute de l’URSS.