Chargement en cours

Démocratie : la mémoire est un instrument de combat

Contribution d’André Bellon, président de l’association « Pour une constituante »

Ces derniers temps, le devant de la scène semble avoir été occupé par l’appel à la dissolution ou à la démission du Président de la République. Ces tentatives semblent pouvoir être, au bout du compte, repoussées grâce à des accords plus ou moins temporaires.

Tout cela empêche de voir la profondeur de la crise. Rappelons que, depuis 20 ans, nous ne sommes plus en démocratie : le traité de Lisbonne, voté par le Parlement, a bafoué le vote des Français exprimé le 29 mai 2005 contre le Traité Constitutionnel européen (TCE). Depuis lors, nous appelons à l’élection d’une Constituante, seule voie démocratique pour reconstituer celle-ci. Sans surprise, tous les porte-parole du système nous traitent mécaniquement de rêveurs et, au lieu d’accepter de voir la crise de régime, prétendent qu’il n’y a là qu’une crise politique classique, mais grave. Ils cherchent ainsi le maintien d’un système oppressif.

L’analyse du passé dérange évidemment beaucoup de nos responsables. Elle est, par cela même, indispensable pour éclairer et faire vivre notre combat pour la liberté et la démocratie. C’est pourquoi il semble plus que jamais nécessaire de faire un retour sur le 29 mai 2005 et ses suites, évènement qui clarifie le combat actuel et que nos adversaires souhaitent effacer de l’histoire.

Le récit du référendum

Jacques Chirac, Président de la République, décida en 2005 que le TCE serait soumis à référendum. Dans un premier temps, la chose ne suscita pas de levées de boucliers, tous les bien-pensants et quasiment toute la presse étant favorables au oui et pensant sa victoire assurée. Après le vote non, les « spécialistes » expliquèrent qu’il n’aurait pas fallu faire de référendum, accusant le peuple -début d’une longue période- d’incompétence et d’irresponsabilité. Réaction scandaleuse, mais logique, car ce traité, et celui de Lisbonne qui va le remplacer, avaient pour objectif de remettre en cause la souveraineté des peuples et, tout particulièrement, d’officialiser la supériorité du droit européen sur les droits nationaux. Il établissait une Constitution pour l’Europe. S’il n’y a pas de référendum sur de tels sujets, quand doit-il y en avoir ? Sur la couleur des panneaux de signalisation peut -être ?

En dépit des appels à respecter l’autorité de ce que l’essayiste Alain Minc appelait le « cercle de la raison », les Français rejetèrent le traité à 54,67 %, avec un taux de participation remarquable de presque 70 %. Commence alors un récit destiné à minimiser le vote, puis à le bafouer par le Traité de Lisbonne, jumeau du précédent. Entre les deux a lieu l’élection présidentielle de 2007 qui va permettre d’officialiser ce coup d’Etat.

L’élection présidentielle

On aurait pu penser que la question européenne, en particulier l’idée d’une Constitution européenne, serait un élément de débat fondamental dans l’élection présidentielle. Il n’en fut rien. Alors que les Français avaient refusé le TCE de manière particulièrement nette, 3 des 4 principaux candidats (Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou) étaient partisans du oui, éliminant donc toute discussion sérieuse sur cette question en la résumant à l’opposition à l’extrême droite incarnée par Jean-Marie Le Pen. Pourquoi une telle aberration ?

Aucun personnage important du système, à l’exception de Laurent Fabius, n’avait appelé à voter Non. En toute logique, Laurent Fabius aurait dû défendre ses positions devant la nation. Mais, considérant sans doute qu’il n’avait aucune chance en dehors des partis, il fit paradoxalement, lors du congrès du PS, synthèse avec François Hollande, farouche partisan du oui. On pourrait lui rappeler cette phrase du général De Gaulle « On ne va pas au bord du Rubicon pour pêcher à la ligne ». Fort logiquement, le PS n’en voulut pas pour le représenter à la présidentielle et choisit Ségolène Royal qui n’était pas particulièrement motivée par la question.

Tout au plus, quelques marginaux de gauche essayèrent-ils de susciter un « candidat du non de gauche », ce qui n’avait aucun avenir car la question portait sur la volonté nationale et n’avait par nature aucune étiquette politique. Le référendum de 2005 faisait partie des événements existentiels qui dépassent le clivage droite-gauche. Vouloir l’y faire entrer avec un chausse-pied conduit à le détruire.

Ainsi le problème clef du moment, à savoir la place de la nation et du peuple, ne pouvait trouver sa place dans l’élection présidentielle. Tout au plus, la question fut remplacée, dans certains milieux dits intellectuels, par des appels angoissés à ne pas reproduire le scrutin de 2002 qui avait vu Lionel Jospin éliminé au premier tour au bénéfice de Jean-Marie Le Pen.

Cette hypothèse alors plus qu’improbable se conjuguait avec des analyses plus qu’absurdes sur la qualification du vote de 2005 comme expression de l’extrême droite. Prodige de la période, nos intellectuels en chambre appelèrent ainsi à faire barrage à des risques antidémocratiques largement imaginaires en soutenant des textes européens attaquant la démocratie.

La cause était ainsi entendue. Nicolas Sarkory fut élu alors qu’il n’avait évoqué le TCE que pour le remplacer par un faux « mini traité » non soumis à référendum. On connaît la suite, le mini traité fut, à part quelques retouches, le jumeau du précédent et voté par le Parlement réuni à Versailles.

Et maintenant ?

On peut avec raison qualifier le vote du traité de Lisbonne de coup d’Etat. La souveraineté du peuple y est, en effet, bafouée par ses représentants théoriques, officialisant ainsi une destruction de la démocratie grâce aux institutions qui permettaient cet attentat. Remettre en cause le système politique et les critères qui fondent les partis n’était pas dans les esprits du moment. Du coup, la question du non au TCE n’était pas dans le jeu électoral et comme personne, parmi les gens dits sérieux, ne voulait l’y mettre, elle fut éliminée du débat.

Depuis lors, qui en parle ? Tout au plus, il est évoqué comme une vieille lune à dépasser. Tout a été fait pour l’effacer de l’histoire. Et c’est dans ce contexte que tant et tant de personnages politiques pleurnichent sur la crise démocratique qu’ils ont, de fait, contribué à développer. Depuis 2005, la classe dirigeante s’organise pour empêcher toute manifestation de la volonté du peuple (refus de tout référendum, répression violente des gilets jaunes,…). Des constitutionnalistes (Jean-Philippe Dérosier) dénigrent les référendums, des philosophes (Pierre Rosanvallon) nient l’existence même du peuple, des combattants de la 25ème heure (Henri Gaino) cherchent à faire oublier leurs soutiens au coup d’Etat de 2008. Les médias, en particulier Le Monde, se servent de cette crise pour accuser le suffrage universel et proposer de lui opposer des méthodes concurrentes, tel le fameux tirage au sort qui donne de fait le pouvoir aux experts en infantilisant le suffrage universel. Une tentative de domestication néolibérale du peuple se développe insidieusement.

Appeler à l’élection d’une Constituante, c’est-à-dire à la reconstruction du peuple en tant qu’être politique, exiger un référendum quant à la supériorité du droit national sur le droit européen, autant de gestes pour reconstruire la démocratie, pour nous réapproprier une histoire qui nous a été volée.